Les membres du FMI vous ont rencontré, le Ministre des Finances et du Budget, le Ministre de l’Economie, de l’Urbanisme et de la Coopération, le ministre du Pétrole et de l’Énergie, le directeur national de la BCEAO, ainsi que d’autres hauts fonctionnaires, partenaires au développement et représentants du secteur privé nous dit-on. Vous êtes tombés d’accord sur des réformes structurelles dans le cadre d’un instrument politique de coordination. Ce programme n’est pas encore approuvé par le Conseil d’administration du FMI, mais devrait naturellement l’être d’ici mi-décembre. Ce programme est conçu dans le but de prévenir les crises et les chocs externes, renforcer la stabilité macroéconomique et de s’attaquer aux déséquilibres macroéconomiques. Notre gouvernement accepte donc que notre pays est très exposé à cause de certains mauvais choix politiques. Ce programme est aussi conçu pour un pays qui pourrait avoir besoin d’argent auprès du FMI pour balancer ses paiements.
Le Sénégal était l’un des pays les plus avancés en Afrique de l’Ouest durant les indépendances. Proportionnellement, le Sénégal disposait de plus d’infrastructures, mais hélas, cet avantage s’est délité au fil du temps. Tous nos dirigeants ont toujours mis l’accent sur les causes externes comme la crise mondiale, le cours des matières premières et les ajustements structurels sans parler des facteurs internes comme le clientélisme et la corruption au sein de l’administration entre autres. Combien de nos élites ont bâti des fortunes personnelles sur le dos des pauvres Sénégalais ? N’avait-on pas remis une importante somme en devises au chef de mission du FMI en guise de remerciement ? Pourquoi le remercier ? Qu’a-t-il fait pour le Sénégal pour être arrosé de cette importante somme d’argent ? Pourquoi devons-nous toujours faire confiance aux institutions de Bretton Woods ?
Durant chaque mission du FMI, nous entendons la même chanson, notre croissance est forte et devrait augmenter, cependant, à quoi sert cette croissance si elle n’arrive pas à réduire la pauvreté et à changer le niveau de vie des Sénégalais ? Veut-on être connu pour ce pays de croissance et de pauvreté ?
Le Sénégal sous l’ère de votre prédécesseur et mentor avait bénéficié de l’instrument de soutien à la politique économique, PSI. Sous votre ère, nous bénéficions de l’instrument politique de coordination, PCI. Tous ces programmes ont presque le même but, celui d’envoyer des signaux clairs aux donateurs, aux créanciers et au grand public sur la solidité des politiques économiques du pays. En quelque sorte, on utilise le nom du FMI pour essayer d’être crédible auprès des bailleurs de fonds après avoir dilapidé nos ressources mobilisées. Monsieur le Président, puis-je me permettre de vous rappeler ce qui s’était passé pendant que vous quittiez la Primature pour l’Assemblée nationale ?
Le Sénégal traversait de sérieux problèmes de finances publiques et le déficit budgétaire était proche des 8 % du PIB. Le FMI sous Alex Segura et le Sénégal étaient tombés d’accord sur un nouveau programme de soutien aux politiques. La discussion était principalement axée sur les subventions massives aux entreprises d’Etat qui étaient improductives et le manque de transparence dans les dépenses publiques.
Monsieur le Président, les informations étaient tellement négatives que le FMI a décidé de ne pas informer tous les bailleurs de fonds et les pays donateur. Le FMI a finalement décidé d’informer quelques donateurs pour ne pas empirer les choses. Nous sommes donc d’accord que le FMI joue un rôle d’amortisseur financier. Ce n’est pas dans l’intérêt du FMI que son programme échoue dans les pays qu’il aide afin de ne pas créer une mauvaise image auprès des bailleurs de fonds. Monsieur le Président, le problème est que le gouvernement ne voulait pas de ce programme, mais plutôt du programme du PCI que le gouvernement trouvait plus prestigieux que le PSI. La vérité est que le PSI est plus strict et cela n’arrangeait pas le gouvernement, car la corruption battait son plein.
Des agences avaient été créées et cela avait naturellement entraîné une augmentation de l’effectif de la fonction publique, ce qui avait en conséquence augmenté la masse salariale de la fonction publique, qui représentait presque 45 % du budget de fonctionnement. Ayant promis de réduire le nombre de ministères, le président a finalement décidé d’augmenter le nombre de sièges à l’Assemblée nationale de 120 à 150 et de créer un Sénat de 100 sièges. Comme si cela n’était pas suffisant, il avait aussi promis de payer plus de 7 milliards de FCFA aux syndicats d’enseignants en plus d’augmenter leurs allocations.
Monsieur le Président, et si on parlait des subventions ? Vous devez en être très familier, car votre septennat a été rempli de subventions quand il fallait soit afficher les prix réels, soit diminuer les exonérations fiscales. Si vous ne voulez pas affecter les consommateurs, il faut faire payer les multinationales pour ne pas creuser notre déficit budgétaire. Bref, Monsieur le Président, les subventions constituaient un fardeau pour le Sénégal et le plus gros problème était la SENELEC et je ne crois pas que le problème soit toujours résolu. 250 milliards de FCFA étaient payés à la SENELEC et 70 milliards de FCFA à la SAR. Monsieur le Président, saviez-vous que les subventions à ces deux entreprises équivalaient à plus de 8 % du PIB ? Bien que le FMI ait recommandé d’augmenter le coût de l’électricité, le président avait refusé, car il ne fallait pas fâcher l’lectorat. Déjà vu ? Monsieur le Président, puis je vous avouer que les membres du ministère des Finances ont dit qu’ils croyaient que la dette de la SENELEC et celle des autres entreprises parapubliques devaient paraître hors des livres du gouvernement vu que ces dettes étaient garanties par le gouvernement ?
Rien ne se faisait au sérieux, rien n’était pris au sérieux. Il n’y avait pas de transparence dans les marchés non plus. Presque 95 % des projets que l’Etat finançait ont été attribué par entente. Les soumissions étaient non concurrentielles et ce manque de transparence est toujours présent de nos jours, Monsieur le Président. Le Sénégal refusait de faire un audit sérieux et objectif des dépenses publiques, car tout le monde savait ce qui se passait et tout le monde dans le gouvernement y trouvait leur profit. C’était la politique de « not in sight not in mind ». Les agences étaient étroitement liées à la présidence et des demandes se faisaient au Trésor sans rendre de comptes. Monsieur le Président, allez-vous me croire si je vous dis que presque 25 milliards ont été transférés directement sur des comptes bancaires privés ?
L’équipe du FMI au Sénégal était sous pression, fallait-il mentir au Conseil d’administration et dire que les choses n’allaient pas trop bien, mais qu’elles s’amélioreraient ou fallait-il dire que les choses allaient sérieusement mal et présenter un rapport négatif ? Cela allait être la première fois qu’un pays échoue au premier contrôle d’un tel programme. Le FMI pensait aussi à dégrader le Sénégal et le mettre dans un autre programme avec un soutien budgétaire de près de 35 milliards de FCFA pour permettre au Sénégal de respirer temporairement. Le seul danger était que le Sénégal allait rester quelques mois sans programme et cela allait ouvrir la porte à d’autres abus financiers envers le Trésor.
Comment faire confiance à ce gouvernement ? Vous rappelez-vous les revenus perçus par la Sudatel ? Il y avait deux paiements de 100 millions de dollars chacun et la moitie a été utilisée pour payer les dettes dues au secteur privé, mais nul ne peut vous dire comment l’autre moitié a été utilisé.
Après avoir causé notre propre destruction, nous sommes encore allés quémander en France à travers l’Agence de développement français. Ils avaient d’abord accepté de nous prêter 82 milliards de FCFA, largement inférieur à la somme dont on s’attendait, avant que la France ne diminue la somme une seconde fois, en disant n’être en mesure de nous octroyer que 72 milliards de FCFA. Les conditions de décaissement dépendaient du Conseil d’administration du FMI dans le cadre du PSI et du fait que les entreprises françaises étaient prioritaires dans le remboursement de la dette interne. Monsieur le Président, puis-je partager avec vous quelque chose de troublant sur le prêt de la France ? Le taux d’intérêt était fixé à plus de 6 % pour 5 ans. Ce taux ne répondait malheureusement pas à l’exigence du programme en place, le PSI. Le gouvernement ne pouvait accepter que des prêts concessionnels. Que faire Monsieur le président ? Il a fallu que le gouvernement demande une dérogation au Conseil d’administration du FMI et l’AFD n’a également accepté de ne débourser que 70 % du prêt, retenant les autres 30 % jusqu’après le troisième contrôle du FMI. Comment le Sénégal allait atteindre ses objectifs en matière de déficit budgétaire et payer sa dette intérieure ?
L’équipe du FMI pour le Sénégal devait s’assurer que le gouvernement remplisse les critères du programme en vertu de ce programme. Monsieur le Président, le rapport du FMI a validé le programme et a dit au Conseil d’administration que le Sénégal remplissait les critères. Pourquoi cette flexibilité du FMI, Monsieur le Président ? Les donateurs n’étaient pas convaincus du travail conduit par le FMI et ils étaient très insatisfaits. Monsieur le Président, c’est peut-être la raison pour laquelle une mallette avait été donnée à Segura. Il a sauvé le Sénégal de la faillite. C’est ce même FMI avec qui le Sénégal a signé un autre accord de principe de 3 ans pour le PCI.
Combien de plans et de programmes d’ordre structurel ont été imposés aux pays pauvres sans que ces plans et programmes ne puissent développer ces pays ? Le même traitement est prescrit pour n’importe quel mal, il s’agit entre autres de privatiser les secteurs clé de l’économie et de déréglementer le marché afin de rendre le marché plus compétitif. Comment peut-on prescrire ces recommandations à des pays dont l’économie est déjà agonisante ? Le FMI a souvent rendu le problème en Afrique pire qu’il ne l’ait trouvé. Le « Consensus de Washington » n’a pas marché et la dette des pays pauvres a tellement augmenté qu’il a fallu venir à leur rescousse pour éviter l’irréparable. Certains pays en Afrique ont même rejeté l’aide du FMI et cela les a valus de meilleures performances en termes d’indice de développement humain et de l’environnement des affaires. Le FMI n’a-t-il pas reconnu avoir commis des erreurs dans plusieurs pays et en particulier en Grèce ?
Monsieur le Président, pensez-vous que nous devons faire toujours confiance au FMI ? Ne pouvons-nous pas trouver d’autres alternatives pour éviter d’aller droit au mur au lieu de tromper le Sénégal avec ces programmes d’aveu d’échec ? S’agirait-il Monsieur le président d’une précaution en cas de besoin urgent d’argent vu que nos caisses sont vides ?
Je vous remercie Monsieur le Président.
Mouhamed DIA